Gérard Traquandi interroge toujours la peinture comme un amour dont on ne se lasse jamais. Après avoir  travaillé sur la nature, il dévoile à la galerie Laurent Godin des oeuvres de moyen format où tout se joue dans et par la matière et la couleur. En finesse. 

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« Choisir d’être peintre, aujourd’hui, c’est choisir un mode de vie… la liberté. », avoue comme un secret Gérard Traquandi buvant son pastis sur le pas de porte de l’atelier. Dans un moment de pause sacré sous le soleil ruissellant de Marseille. Suspendu entre ciel et mer. Au deuxième étage d’un ancien entrepôt de plus de trois siècles. Dans les bruissements et les odeurs du vieux port. « Peindre, c’est être dans les choses ». Toutefois, Traquandi sait qu’il n’invente rien. Il le dit. Il l’assume. Depuis six ans seulement qu’il ose affronter « la bête », il renouvelle pourtant l’acte suprême de l’artiste. De Pontormo à Cézanne, de Pollock à Baselitz, Günther Förg ou Philip Guston qui disait, dans le même esprit :« tout l’enjeu est là : le rectangle – de la toile – est le monde. C’est la réalité pendant quelques minutes, quelques heures. « C’est » le monde ». » Et c’est dans les deux immenses et hautes pièces blanches de l’atelier, sous les verrières des plafonds que la recherche, la bataille, la lutte, le corps à corps, et enfin le miracle se réalisent et prennent formes. Après avoir abandonné le collage et la photographie qui « m’ont longtemps permis de travailler la peinture en creux», a quarante-trois ans, Traquandi a osé. L’huile, la toile et le pinceau. S’enivrer de térébenthine. S’éclabousser de peinture. Affronter le mythe. De l’artiste. De l’œuvre. Définitivement happé par la matière et le geste qui l’avaient bouleversé, à 20 ans, découvrant des diapositives d’œuvres de Soutine et Francis Bacon aux Beaux-Arts de Luminy. Retour définitif à ses premiers amours.

A ses premiers amours d’enfant, d’adolescent aussi, qui dévorait les livres passionnants des alpinistes. A cette nature « non balisée » qu’il vénère et dont il ne peut se passer. Et plus précisément à cette montagne « inquiétante et idéale » des Alpes du Sud qui envahit ses tableaux depuis plus d’un an seulement et dont il revient de ses ballades chargé de pierre et comme Bonnard, de croquis. Encore un autre enjeu. Un autre idéal à toucher du doigt. Du pinceau. Abandonnant les délicatesses vigoureuses, si sensuelles, si brillantes de ses somptueuses séries de fleurs. Comme si Gérard Traquandi cherchait depuis un au-delà de la volupté. Une saveur plus acre. Plus difficile. Une mise en danger. Constante d’ailleurs chez l’artiste. Parce que « le paysage est tout à fait particulier par rapport à la figure ou aux objets. Ce n’est pas un face à face. Lorsque je peins la montagne, je réalise quelque chose qui se déplie autour de moi. En fait, ce n’est pas le paysage qui m’obsède, il apparaît simplement, pour le moment, un moyen de résoudre le problème du fond et de la forme ». Comme celui, évident, de l’abstraction et de la figuration. «Il est là. Sans arrêt, concède le peintre. Dès que ça figure, je deviens fou. Dès que ça ne figure pas, je deviens fou aussi… Je ne fais rien d’autre. Je passe ma vie à ça ».

Gérard Traquandi déplace les toiles. Dévoile les séries. L’une après l’autre. Se succèdent « Les Arbres », « Entre chien et loup », « Neige », « Passage », « Jours blancs »… Des réminiscences des « premiers instants de randonnées… les violets et les verts du lichen, et ces moments d’eau, d’humidité… quelque chose avec le brouillard…. des histoires de galets et de pieds dans l’onde… », confie l’artiste. Un espace fluide de ciel, d’air, d’eau, de neige mêlés qui deviennent substance et opacité lumineuse, un espace suspendu et minéralisé, jaillissement du vide ou rideau mouvant d’une fenêtre. Et encore des souvenirs de glisse. Sur le fils du rasoir des crêtes et des ressacs. Sur la pente. En déséquilibre. De ces œuvres vertigineuses qui donnent l’impression d’être pris entre deux courants. Entre l’ascendant et le descendant. Entre le paradis et l’enfer. Partout, les pans de couleurs se baladent, s’effacent, s’éliminent, réapparaissent sous les couches multiples de l’insatisfaction du peintre, captent au bon moment une coulure, se contractent, se durcissent ou s’épanouissent, moelleux et trouvent enfin leur place. Pour « faire de la géométrie avec de l’élan », explique le Marseillais, examinant ses toiles. « Mon travail n’est pas naturaliste. Il parle du monde. Je ne peux partir que de choses que je connais bien … de l’ordre de l’expérience ». Sa voix rocailleuse s’arrête un moment. Gérard Traquandi dévoile une explication qu’il aime à donner : « vous savez, l’art, c’est une consolation ». Une note mélancolique dans l’accent du Sud. Bien plus. Une des plus belles définitions de la peinture.

Anne Kerner

Gérard Traquandi est représenté par la galerie Laurent Godin, Paris.

Images tirées du site de la galerie Laurent Godin, courtesy Laurent Godin, Paris et l’artiste