Emmanuelle Villard réalise un travail remarquable sur la féminité et l’artifice. Elle nous explique comment et pourquoi. 

 
 
 
 
 
 
 
 
A.K. : Emmanuelle Villard, comment êtes-vous passée de la pratique picturale à l’objet ?

E.V. : Je travaille toujours sur plusieurs séries en parallèle. Chaque série a un espace de processus de réalisation et peut donc donner des choses formellement très différentes. Dans mon atelier existe un véritable laboratoire de recherche dont le but a toujours accès autour de la question : « comment peindre ? ».
Par exemple, la série ancienne sur les « yeux qui débordent », et que je peins toujours, vient d’un processus où la peinture est conditionnée dans des pipettes, etc… C’est un véritable processus qui relève à la fois de la chimie ou de la cuisine. On a souvent d’ailleurs dit que mon travail relève de la cuisine picturale. Alors que je travaille sur ce genre de série, une autre se crée en pareille. Comme celle des « yeux » qui a donné naissance à la série des rubans réalisés avec les restes de peinture de la série.
Quand une série naît il y a toujours cette espèce de volonté de rendre la technique énigmatique au spectateur, un peu dans un jeu de trompe l’œil. Une série fabrique toujours une espèce de négatif. Et toute mon œuvre se construit comme un gros rhizome. Toutes ses séries ont en commun un rapport à l’espace et à l’objet. La série des « yeux » avait vraiment un aspect d’objet précieux., au format limité qui voulait crée un tête à tête avec le spectateur. L’objet peinture et la peinture dans l’espace ont donc toujours été présents. Des séries l’affirment radicalement et d’autres l’évoquent, comme dans cette exposition, de projections de colliers en volume même si l’on est dans des surfaces très planes. Dans les tondo, également, qui sont réalisés par une multitude d’objets, la matière peinture et objet a littéralement sauté dans le travail. Je me suis autorisée à utiliser tout ce qui pouvait « faire » peinture. Les objets, les perles, etc…sont donc arrivés naturellement.

Comme il y a toujours eu dans mon travail un rapport à la séduction, à l’apparence, au fard à toutes ces choses là, le fait d’utiliser des paillettes, des perles, des miroirs, apparaît comme une vraie cohérence. J’aime utiliser les univers de l’artifice, de la mascarade et les faire basculer dans la peinture. Il y a une attitude très décomplexée. Ce qui m’intéresse est comment le travail s’installe dans le temps, comment une série évolue. Il y a des connexions à l’atelier qui sont là et dont je me pose des questions. Les œuvres, le travail sont en attente. A un moment donné tout à coup elles ont leur place.
Comme dans cette exposition, les transferts et les décalcos m’intéressaient depuis de longues années et tout à coup leur existence se cristallise là. C’est intéressant de voir cette logique qui met des années à se construire. La manière dont l’inconscient se structure, tout cela sont des choses qui m’intéressent. J’ai le sentiment que dans le travail cela se passe comme cela et que la cristallisation se fait dans le temps comme dans une analyse. Il y a toujours ce lien au sujet et cette volonté de renvoyer le spectateur à lui-même ou au sujet de la peinture, de la séduction et du masque. Où se trouve l’individu ? Que se passe t-il derrière le voile ?

A.K. : Quelles sont les références qui vous animent ?

E.V. : J’ai vraiment le sentiment que l’art en général m’intéresse. J’ai l’impression que je vais trouver de la matière aussi bien dans l’Antiquité, la Renaissance, le Baroque… puis il va se faire une cristallisation sur une époque. Comme les tondo, il y a toujours un clin d’œil ou un hommage au passé. Pour moi il y a l’Histoire et l’histoire du XXème siècle. Mais évoluer dans une peinture qui ne serait qu’auto référencée ne m’intéresse pas. Je me sers aussi bien de l’histoire de l’art que de la société de consommation pour créer des liens avec notre époque. Je souhaiterais une peinture qui pourrait aller dans tous les sens.
On a beaucoup parlé de mon travail comme « baroque ». Je trouve que c’est une interprétation pas tout à fait juste. Le baroque élève et dans mon œuvre, c’est un baroque contraint et étouffé. C’est plus une utilisation détournée et réactualisée. Je m’autorise ces voyages, ces références car cela raconte l’hyper séduction que réalise la peinture sur moi. Mais toujours en essayant de la contextualiser dans le monde d’aujourd’hui.
C’est un mode opératoire qui a mis du temps à s’installer. Quand j’ai commencé mes études, les femmes étaient pétries d’interdits et cela m’a pris du temps car il ne fallait pas aller dans une résistance frontale par rapport à la peinture. Ensuite il fallait la liberté d’oser faire. Je commence à peine à avoir l’impression que le travail s’installe vraiment, que je sais vraiment où aller. Cela m’a pris du temps.

Votre art est-il féminin ?

J’ai le sentiment que non. Ce sont toujours les hommes qui achètent les pièces les plus « féminines ». Les femmes vont vers les pièces les plus épurées. Vue que la mascarade m’intéresse, celle que je connais le mieux est la mascarade de la féminité. Je n’ai d’ailleurs jamais trouvé évident de grandir et de se faire femme avec tous les codes culturels. Cela prend aussi du temps de construire son image de femme.
Ce sont donc les codes que je connais le mieux mais c’est aussi une réaction au fait que j’ai tellement entendu lorsque j’étais jeune qu’un femme n’était pas faite pour la peinture contrairement aux hommes. Je crois que j’avais envie d’enfoncer le clou dans cette direction. Faire cette oeuvre est peut-être d’une certaine manière de jouer avec ces idées reçues mais qui tendent heureusement à disparaître. Je trouvais intéressant de rentrer dans cette interstice : ne pas l’aborder de manière violente mais en subtilité « à la midinette » (dit-elle en riant). Tout se complète dans le temps.

Interview réalisée par Anne Kerner le 06/12/11 à la galerie Les filles du calvaire
 

Emmanuelle Villard, galerie les Filles du Calvaire, 17, rue des Filles du calvaire, 75003 Paris. Jusqu’au 26/10/14. 

Emmanuelle Villard, Artifici finti, exposition personnelle, Abbaye de Maubuisson,  avenue Richard de Tour, 95310, Saint-Ouen l(Aumône. 01 34 64 36 10. www.valdoise.fr. jusqu’au 28/05/12.
www.emmanuellevillard.com
 
Approche aux constellations – Exposition collectice : Emmanuelle Villard, Atelier 340 Muzeum, Bruxelles, Belgique. Du 12/10/2012 au 03/02/2013
 
Image home page ouvretesyeux, détail d’un tableau d’Emmanuelle Villard à la galerie les filles du calvaire. www.lesfillesducalvaire.com