Pour sa première exposition à la galerie, la jeune artiste Rebecca Bournigault porte à nouveau son regard sur ces figures mineures, attachantes et anonymes de contestataires contemporains. Géographie internationale de la colère, « Les émeutieurs » (2005-2011) de l’artiste montrent la révolte et les soulèvements populaires dans le monde. Commencée avec les violences urbaines de « Clichy-sous-Bois » qui embrasèrent la France pendant trois semaines, ses images se poursuivent  en couvrant aujourd’hui plus de 70 pays. Et l’artiste de se pencher tout naturellement vers les révolutions arabes avec 10 aquarelles de très grand format.

« Rébecca Bournigault, Révolutions arabes », galerie Patricia Dorfmann, 61, rue de la Verrerie . 75004 Paris . T: +33 (0)1 42 77 55 41. Jusqu’au 07/01/12

www.patriciadorfmann.com

Interview réalisé par Anne Kerner en 2009.

Vous avez exposé dernièrement à Bruxelles ?

Dans ma dernière exposition à Bruxelles, mes peintures ont été installées de manière très précise avec des cadres bord à bord. C’est une installation complexe. L’ensemble de l’exposition se passe dans le noir complet. Les spectateurs sont amenés à prendre une bougie dans un présentoir et se déplacent dans l’espace en regardant les peintures à l’aide de leur bougie. Le contenu des peintures apparaît comme un mélange de phrases que j’ai pris dans les journaux. On y trouve aussi beaucoup de têtes coupées, des images de tortures de Guantanamo, des femmes en burqa, des images assez sombres. Mais ces œuvres sont traitées à l’aquarelle et elles donnent ainsi un sentiment de légèreté.

Le thème est politique ?

Le thème est très politique mais pas du tout traité de manière didactique. J’ai pioché des choses qui donnent l’impression d’être perdu devant l’information. Je travaille aussi en référence directe à la psychanalyse et à l’inconscient. J’aimerai donner la sensation d’entrer dans les méandres d’un cerveau. Le visiteur va dans l’exposition comme en analyse. Il éclaire une chose puis une autre. C’est la mise en forme de ce par quoi l’esprit passe à longueur de journée. C’est-à-dire qu’il vit au milieu d’un mélange d’informations. Alors qu’ici, chaque personne fait son propre parcours. Or, aussi bien dans la vie que dans cette exposition, personne ne va suivre le même parcours.

Dans l’exposition de Bruxelles, par exemple, il y a un mot « congratulation », revenu de nombreuses fois dans la presse, que j’ai isolé. Mais avec les images auxquelles il est associé, il peut devenir cynique et dur. J’ai réalisé aussi beaucoup de portraits et des corps, mais les deux ne sont pas représentés ensemble. Les corps montrent des scènes sexuelles et les têtes sont toujours soit coupées, soit étranglées. Toutefois, ce ne sont pas des portraits de morts mais de personnes qui vous regardent. Donc il y a toute une métaphore du portrait. Car lorsque l’artiste réalise le portrait d’une personne, il l’immortalise. Celui-ci survit à son modèle. D’où l’ambiguïté que je cherche à créer dans mes peintures.

Vous traitez aussi du thème des Emeutiers ?

En ce moment, j’ai une exposition à Thun en Suisse où sont représentées de très grandes peintures d’ « Emeutiers ». Chacun porte le nom du pays dans lequel a lieu l’émeute. Je commence ainsi à construire finalement une émeute de personnes ! D’où cette idée de révolte à travers tous les pays du monde. J’ai commencé ce regard politique en 2005.

Mais les scènes sensuelles, pornographiques sur le corps existent toujours. Par exemple, dans ma dernière installation vidéo qui dure 60 heures, on voit un jeune homme qui lit « A la recherche du temps perdu » de Proust, du début à la fin. Le tournage a duré quatre mois. J’ai réalisé un plan sur son visage où qu’il soit, à n’importe quel moment du jour ou de la nuit. Cette intimité avec cet homme qui lit est sensuelle. On rentre dans le visage, dans l’intime de la personne. En fait, dans mes œuvres il y a toujours un rapport entre l’intérieur et l’extérieur. Je désire voir ce qui se passe à l’intérieur de l’être et me demander comment je peux le retranscrire. Donc il y a ce lien entre les pensées, les impressions etc…et leur mise en forme. Dans les portraits comme dans les films, e qui m’importe c’est ce qu’il y a sous la surface.

Vous travaillez plusieurs supports ?

Je travaille tous les supports à la fois. Mais la peinture n’est pas ma première révélation. C’est la vidéo et l’aquarelle qui se sont construits en même temps. Je pense que leur travail a commencé en parallèle car il y avait dans les deux une recherche de l’immédiateté. Et dans les toutes premières séries de vidéos, il y avait le fait qu’elles ne pouvaient être tournées qu’une seule fois. Il y a cela dans mes aquarelles. Il n’y a jamais de raté (sinon, je les jette). Je ne travaille que lorsque je suis dans un état particulier très concentré et à ce moment là j’en fais beaucoup. Parfois je commence et cela ne va pas. Je peux alors m’arrêter un bon moment. Le travail devient sérieux et important quand les émotions deviennent universelles. Quand je me dis, c’est cela « être un être vivant ». Et « vivre ». Donc il faut retranscrire cette sensation. Je peux communiquer une émotion quand j’ai le sentiment que c’est quelque chose d’universel et que tout le monde peut se l’approprier. En tous cas, je dois créer un langage pour le rendre accessible.

Pour revenir à l’exposition de Bruxelles… Nous sommes habitués dans la vie à être dirigés malgré nous. Nous sommes manipulés par les médias, par les proches… Nous vivons dans ce système là. Et ce que j’aime dans cette exposition et que l’on retrouve dans l’ensemble de mon travail, c’est que le visiteur va explorer des pistes pour réfléchir par lui-même. Ce n’est pas que je n’ai pas de point de vue, c’est que j’ai envie d’étendre la réflexion.

Votre enfance a joué dans votre parcours plastique ?

Mon père était ingénieur. Il avait beaucoup voyagé en Asie. Il a vécu longtemps en Indochine et à cette période il faisait beaucoup de dessins. Il avait d’ailleurs fait mon portrait quand j’étais enfant. Il y en avait accroché à la maison. Je me suis fait la réflexion plus tard, que le fait que mon père faisait des dessins et les mettait sur les murs, m’a donné quelque chose d’évident. A savoir que le dessin, la peinture,  l’art était quelque chose de possible, n’était pas réservé aux autres. A l’adolescence, j’ai trouvé la réponse dans la musique. Ensuite au lycée de Nevers, j’ai fait une section Arts Plastiques. J’ai eu un professeur qui aimait vraiment l’art contemporain et en a abordé les prémices. Après je suis rentrée aux Beaux Arts de Bourges. J’étais très heureuse car je passais entre les mailles du filet. Par exemple, j’ai vu une exposition de Boltanski et je me suis dit que c’était vraiment là que les choses se passaient et que tout était possible :  inventer un langage et non plus utiliser les règles que d’autres auraient définis.

Et vos séries de Vanités ?

Les Vanités pour moi, c’est un peu ma Marilyne ! J’en ai toujours fait et il y a en elles un aspect quasi ludique car c’est presque comme autant de crânes qui sont dans la tête des portraiturés. C’est aussi une sorte de portrait et j’aime bien avoir l’idée d’une série qui ne s’arrête jamais. Car chaque vanité est unique.

Vous faites une peinture qui a des références rock ?

Oui, j’ai toujours été influencée par la musique. D’ailleurs justement, la musique est quelque chose qui vient de l’extérieur et passe à l’intérieur…

Entretien réalisé par Anne Kerner.

Images courtesy Patricia Dorfmann