Simon Hantaï est l’un des plus grands peintres de la deuxième moitié du XXème siècle. Le Centre Pompidou lui rend enfin hommage avec une rétrospective où l’on peut enfin découvrir toute son oeuvre et comprendre son fil rouge. 

simon hantai, Portrait du peintre Simon Hantai vers 1970 photo Edouard Boubat Rapho

 

simon hantai

simon hantai,Laissee 1981 1994 Collection particuliere.Adagp Paris 2013

 

 

Préface du Catalogue
par Dominique Fourcade – Isabelle Monod-Fontaine – Alfred Pacquement

L’exposition Simon Hantaï que nous présentons aujourd’hui est la première rétrospective de l’œuvre de ce peintre depuis près de quarante ans. La dernière (et la seule à ce jour) avait eu lieu en 1976, à Paris, au Musée national d’art moderne, dans les locaux du Palais de Tokyo, quelques mois avant l’ouverture du Centre Pompidou. Hantaï s’était depuis lors constamment refusé à toute idée de rétrospective, en dépit de la proposition réitérée que ce Musée (parmi d’autres) lui avait faite d’en organiser une nouvelle. Exposer l’ensemble de son parcours nous paraît aujourd’hui, cinq ans après sa mort, à la fois comme une nécessité et comme une urgence. Il est grand temps, en effet, de donner à voir dans toute son ampleur la carrière de celui que nous considérons comme l’un des plus grands peintres de la seconde moitié du XXe siècle – il est temps de la présenter dans l’espace qu’elle mérite, et rendue à sa résonance.

Né en Hongrie en 1922, Hantaï arrive à Paris au début de l’automne 1948, il y meurt au début de l’automne 2008. Ce sont ces soixante années d’une vie de peintre que nous avons eu à cœur d’exposer, avec ses événements successifs, ses grandes périodes, ses rythmes particuliers, ses éloquences et ses silences, jusqu’à la décision d’arrêter de peindre. Hantaï est surtout connu pour une méthode de travail, le pliage, qui a beaucoup retenu l’attention des critiques et des admirateurs. Mais cette histoire, « le pliage comme méthode », ne commence qu’en 1960, avec une première et éblouissante série, les Mariales. La toile est pliée avant d’être peinte (en fait, les premières de la série sont d’abord seulement froissées), en sorte que toute vision de l’ensemble de la surface du tableau est interdite à l’artiste, qui n’en peut peindre que les parties accessibles à son pinceau. De cet aveuglement provoqué naîtra un profond renouvellement de son art – une nouvelle façon de penser la peinture, justement célébrée. Cependant, avant d’en arriver à cette rupture en 1960, l’œuvre de Hantaï est déjà riche de plusieurs développements considérables, dont la période surréaliste (1952-1955), la période gestuelle (1956-1957) et l’explosion post-pollockienne de Sexe-Prime. Après quoi viennent deux années majeures, 1958 et 1959, lors desquelles il élabore un nouvel espace. Ces années culminent dans deux tableaux très importants et d’une grande beauté, Peinture (Écriture rose) et À Galla Placidia, peints durant un an, l’un le matin l’autre le soir. Longtemps restés aux murs de son atelier, Écriture rose a été exposé pour la première fois dans la rétrospective de 1976, où le tableau a fait sensation, tandis que À Galla Placidia n’a été montré qu’en 1998, lors de sa donation au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Pour la première fois depuis qu’elles ont été peintes, les deux œuvres sont réunies dans une même salle, entourées de leurs tableaux satellites, peints à petites « touches-réveil » et parfois recouverts d’écriture – cette salle est l’un des sommets de l’exposition. À partir de 1960 se déploient, série après série, les pliages, qui font éclater en pleine lumière le génie de ce grand coloriste qu’est Simon Hantaï. Ces séries ont pour nom les Mariales (1960-1962), les Catamurons et les Panses (1963-1965), puis, couronnement d’une décennie magistrale, les Meuns (1967-1968), où joue pleinement toute la richesse de l’expression par la couleur, elle-même découpée en profondeur par les plis. Viennent ensuite les Études et les Blancs (1969-1973) qui opèrent sur un mode de pliage encore différent, avec pour résultat une surface plus cisaillée et même, dans les Blancs, une couleur résolument fragmentée. Et enfin les Tabulas, qui s’étendent sur une longue période, de 1973 à 1982, pendant laquelle Hantaï plie sa toile en carrés ou en rectangles monochromes, allant jusqu’aux immenses surfaces peintes en 1981 pour l’exposition du Capc à Bordeaux. Ces différentes tentatives aboutissent à la présentation des Tabulas lilas l’année suivante à la Galerie Jean Fournier – blanc sur blanc produisant sous certaines conditions d’éclairage une couleur rose lilas immatérielle et cependant bien réelle.

C’est alors, à la fin de l’été 1982, au moment même où son œuvre, désormais largement reconnue en France, se voit consacrée au Pavillon français de la Biennale de Venise que Simon Hantaï décide de se retirer, et entre dans un silence dont il n’émergera publiquement que quinze ans plus tard, en 1998, avec deux expositions tout à fait marquantes à Paris, celle des Laissées, d’une part, à Renn Espace (les Laissées sont des peintures obtenues par découpes et recadrages de certaines Tabulas), et d’autre part l’exposition de son importante donation au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Tandis qu’une troisième et très belle exposition, consacrée aux différents modes du pliage, a lieu en Allemagne, à Münster. Le silence, sous la forme du refus d’exposer, reprend ensuite toute sa violence, cependant que des livres importants paraissent, dont L’Étoilement de Georges Didi-Huberman, et que Hantaï est en dialogue avec nombre d’intellectuels de son temps, tels Jacques Derrida et Hélène Cixous, ainsi que ses deux amis Jean-Luc Nancy et Antonio Semeraro. Parallèlement, une jeune génération d’historiens d’art, dont font partie Ágnes Berecz et Molly Warnock, se penche sur son œuvre et publie différents ouvrages. Reconstituer ce foisonnant parcours de peintre et en faire comprendre les enjeux et le contexte sont donc l’objet de cette exposition ainsi que du catalogue qui l’accompagne. L’une et l’autre sont articulés autour de la nécessaire mise en perspective chronologique. Dans le catalogue, nous avons convier à écrire certains des meilleurs commentateurs de l’œuvre de Simon Hantaï, et nous avons invité à témoigner des artistes qui disent ici avec discernement toute l’émotion qu’a été la découverte de cette œuvre au seuil de leur jeunesse. Nous remercions très vivement chacun d’avoir accepté de nous rejoindre (…)

Simon Hantaï, Centre Pompidou, Piazza Beaubourg 75004 Paris. Jusqu’au 02/09/13.

(Images, de haut en bas de la page, Portrait-du-peintre-Simon-Hantai-vers-1970-photo-Edouard-Boubat-Rapho, Tabula-1980-Centre-Pompidou-Mnam.-Adagp-Paris-2013, Laissee-1981-1994-Collection-particuliere.Adagp-Paris-2013)