Jérôme Zonder réalise un travail de dessinateur hors-norme. Son oeuvre extraordinaire couvre la Maison Rouge du sol au plafond et nous fait pénétrer dans une forêt… dans le monde magique, cruel et labyrinthique de l’artiste. 

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La silhouette gracile et les cheveux noirs. Frisés. Jérôme Zonder, surdoué du dessin, génie du crayon sous toutes ses formes, a toute l’humilité des grands. De ceux qui ne se posent presque plus de questions mais foncent. Depuis sa sortie des Beaux-Arts en 2001, à 27 ans, le voilà qu’il ne dessine plus qu’en noir et blanc. Pour mieux s’inscrire dans l’Histoire. Et aussi sans gomme. Sans repentir. Sans cesse sur le fil du rasoir. Son seul outil ? Le ductus de la main. Le geste. Le mouvement conduit par l’oeil et l’esprit. Et lorsqu’il en parle, pas de fragilité ni de fébrilité. Zonder est devenu maître du dessin qu’il pratique. Il sait où il va et ses merveilleuses feuilles comme sa série de portraits le prouvent. “Il n’y a qu’une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle”, disait Rodin.

Mais sa dextérité n’est pas seulement au bout de ses doigts. Jérôme Zonder est un artiste de son temps. On pense au groupe anglais Le Gun dont on voit régulièrement les folies à la galerie de Suzanne Tarasiève. Ici aussi, l’artiste inscrit le dessin qui il y a encore quelques années restait “à sa place” et n’était guère considéré comme art majeur, dans l’esthétique la plus contemporaine qui soit. Et installe. Avec brio, il jongle avec les décors de dessins animés, les scènes de cinéma, l’histoire de l’art comme Roger van der Weyden, Gustave Doré et encore Paul McCarthy, Peter Brook, Bergman… Dès l’entrée de l’exposition, ses oeuvres couvrent les espaces entiers de la Maison Rouge. Ils jonchent les sols. Ils grimpent sur les murs sur des dizaines de mètres. Ils se chevauchent, dialoguent, les uns à côté des autres, les uns sur les autres. Un “wall” côtoie une de ses premières oeuvres encadrée. Les textures de certaines cimaises acceuillent des accumulations de tous petits morceaux de papiers. L’oeil regarde, s’affole, se perd. Jérôme Zonder nous envoie au septième ciel du dessin.

Hanté par la violence du monde, il livre également une oeuvre radicale, dérangeante, hallucinante, rongée par la cruauté. La dextérité  pour livrer au visiteur le labyrinthe de la tragédie humaine. Guerres, totalitarisme, massacres. Cris et hurlements. Comme Francisco de Goya avec ses “Désastres de la guerre”, comme Zoran Music avec “Nous ne sommes plus les derniers”, comme Théodore Géricault avec “Le radeau de la Méduse”, “Fatum” nous entraîne dans l’Histoire. Ici çà hurle et çà dérange. Ici çà saigne, çà souffre, çà meurt. Le visiteur est saisi, transi, sidéré.  Gros plans d’insectes, crâne ouvert, nudités affolantes et affolées. Corps torturés, corps mourants, corps morts. Des “images malgré tout” commentées par Georges Didi-Huberman. Avec les “chairs grises” des chambres à gaz. Avec la Shoah. Avec la guerre d’Algérie. Avec le génocide au Rwanda…. C’est trop. Trop. Presque trop ? Dans sa dénonciation jamais. Dans sa présentation peut être.

Il faut rester longtemps dans cette exposition. Pour comprendre à quel point Jérôme Zonder a pour seul et unique but de pousser toujours plus loin les “limites”. De ses sujets et de ses techniques. Pour sonder au plus profond de l’homme “les grandes épreuves de l’esprit” disait Henri Michaux.

Jérôme Zonder, La Maison Rouge, 10, boulevard de la Bastille, 75011 Paris. Jusqu’au 10 mai.

(Images portrait Ouvretesyeux, puis copyright Jérôme Zonder, courtesy Eva Zonder et La maison Rouge)