La galerie Analix Forever entame une nouvelle année avec un programme enchanteur de duos. Faire dialoguer les artistes. Les regarder travailler ensemble, se poser des questions sur leurs travaux réciproques, se dépasser l’un et l’autre, devient essentiel dans la création d’aujourd’hui. Et permet au visiteur de mieux les appréhender, les découvrir, les comprendre. 

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Laissons la parole à Barbara Polla, directrice de la galerie Analix Forever :

“Fascinée par les deux artistes, séparément, j’ai pensé à une rencontre, à un duo possible, à un partage des duels, à une connivence.

La rencontre eut lieu.

Et l’âme sensuelle de Rachel Labastie inspira à Maro Michalakakos, pour la première fois, l’idée du bleu. Yves Klein encore : « &hellip mon entrée dans l’époque Bleue. Par le Bleu, la grande COULEUR, je cerne de plus en plus l’indéfinissable. C’est alors que je décide de présenter chez Iris Clert le “Bleu immatériel“. » Iris Clert-Athanassiadis est grecque. Maro Michalakakos aussi. Et c’est alors qu’elle décida de présenter le bleu Pas de deux (c’est ainsi qu’elle intitule sa pièce de velours bleu) à Analix Forever&hellip « Une métamorphose, dit l’artiste, un être fantastique, à deux têtes avec des phallus sur la tête un corps commun et des pattes qui sont des mains peut être ; des têtes de griffons et d’oiseaux qui sortent d’un placard sont accrochés au plafond et touchent la terre, remplis de poussière, une poussière qui a été extirpée d’eux-mêmes par le scalpel, des griffons bleus au sang bleu au sang noble. Tout est bleu. Il faut peut être voir les choses différemment, suggère l’artiste, se mettre a la place des autres pour mieux comprendre. Quand j’ai présenté pour la première fois mes velours à Genève, j’ai bien vu que le rouge n’allait pas avec la lumière genevoise, j’ai pensé le gris et je suis arrivée au bleu, un beau bleu profond, c’est-à-dire un rouge vu sous le soleil du nord, plus au nord que la Grèce. »

Et l’âme guerrière de Maro Michalakakos inspira à Rachel Labastie la possibilité d’une « sortie par le haut » : l’idée de l’échelle. « Une échelle d’argile qui semble jaillir du sol, dit l’artiste. Le matériau transitoire que j’ai lentement mis au point ne sèche ni ne durcit. La sculpture est ainsi comme en train de se faire. Cette sculpture pareille à une prière cherche à s’extraire de la terre vers le ciel. Une supplication montant péniblement du monde des perceptions et de l’expérience. J’y parle de l’aspiration humaine à sortir de sa condition en tentant de se dépasser”.
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Poursuivons avec l’introduction du texte de Paul Ardenne produit à l’occasion de l’exposition “De l’apparence des choses, chapitre V, Territoires de Rachel Labastie, à la galerie Laizé du centre d’art Le Village à Bazouges-la-Pérouse (21/06 au 06/09/15).

“Depuis ses débuts au tournant des années 2000, Rachel Labastie pratique principalement la sculpture au feu. Terre cuite, grès, céramique, porcelaine sont chez cette jeune artiste formée aux Beaux-Arts de Lyon les médiums d’élection d’une oeuvre se déclinant en de multiple objets sculptés. Ceux-ci, le plus souvent familiers, empruntent à l’univers du quotidien : un lit, des bottes, des pilules, des briques, ou encore à notre constitution corporelle : dent, cerveau. Il arrive dans quelques cas que la thématique propre à l’artiste dérive : une cage, une barque à moitié engloutie dans le lit d’un fleuve, des ailes d’ange, une chapelle de la taille d’une cabane…, des masques de soudure, un rideau donnant l’impression de flotter dans l’air… forment alors le florilège de cette oeuvre fortement marquée par le poids de l’objet, soudainement moins lipide qu’intrigante dans sa raison d’être.

Des plus singuliers, familier autant qu’étrange, l’univers de Rachel Labastie produit un fort rayonnement, une indéniable attraction. Jusqu’à ce point : porter le spectateur, au delà du spectacle et de la curiosité, à l’enquête, une enquête que l’on pressent d’emblée propice à nous rapprocher de l’être, d’esprit métaphysique. “

Terminons par la conclusion de Paul Ardenne consacré à Maro Michalakakos :

“Nous sommes friables

L’univers artistique de Maro Michalakakos est celui de la profondeur faite surface. Quelle profondeur ? Celle de l’inconscient et de la féminité, de l’enfance et de l’intimité, de la violence existentielle enfouie. Ses œuvres sont à double détente. En apparence, elles plaideraient pour la douceur : calme esthétique de lits clos en ferronnerie d’une belle élégance, de compositions plastiques utilisant le velours ou le bois marqueté, toujours séduisantes. Elles connotent aussi, cependant, une brutalité sourde, décelable dans l’atmosphère de crise larvée que met en forme l’artiste : allusion transparente à une sexualité blessée, au trop de pouvoir phallique, à l’effroi que suscitent soumission et abandon. Une brutalité que pacifie l’exercice d’un art usant de manière ambivalente et productive de la beauté des formes.
L’art tel que le conçoit Maro Michalakakos n’est jamais gratuit : pas de formalisme, nulle quête de la belle forme appelée à ne valoir que par et pour elle-même. La gratuité serait coupable, en vérité. Car alors la création plastique s’assimilerait à un travail de décoration, de cosmétique. La forme, ici, entend au contraire signifier, cultiverait-t-elle l’allusion subtile. Si le sens des œuvres de Michalakakos demeure ouvert – il tire volontiers l’œil vers le conte, le mythe, les légendes, les rêveries de jeune fille… –, reste que ces dernières se fondent en permanence sur cet unique objectif, qui est leur raison d’être : la maïeutique. L’œuvre d’art est un révélateur ou alors elle n’est rien. Michalakakos, sans doute, aurait pu écrire, noircir les pages de romans ou de journaux intimes – son propos, son style, alors, auraient sans doute rejoint celui des femmes « investigatrices » d’elles-mêmes et de leurs passions, de Virginia Wolff à Ornela Vorspi. Choisir l’art visuel, plutôt que la littérature, est une option intéressante. Plus qu’à imaginer, on donne à voir, on en offre plus à celui avec qui l’on entre en communication. Moins de détail, plus de profondeur. Moins de description, plus de vécu. L’identification s’en trouve facilitée. Spectateur des créations de Michalakakos, je suis aussi partie prenante des tourments psychiques qu’indexent celles-ci. Je deviens le tiers inclus, convié à entrer dans le cercle.
Mariant insistance et discrétion, l’œuvre de Mario Michalakakos oscille entre les deux pôles de la métaphysique anxieuse et de l’identité sexuelle incertaine. Elle ne nous rassure pas. Elle nous rappelle, à meilleur escient, que nous sommes ici-bas des êtres de craie, rendus friables par la mort qui rôde, le pouvoir qui menace à tout instant de nous voir cesser de lui résister, le désir qui nous malmène ou nous rend solaires, diversement.”

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DUO – DUEL. Rachel Labastie & Maro Michalakakos.
Galerie Analix Forever, 2 rue de Hesse, Genève.
Exposition jusqu’au 3 octobre.