Jacques Villeglé accueille Bernar Venet. 50 ans d’amitié se retrouvent  autour du point.

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Vous êtes à l’origine de la participation de Bernar Venet au Salon Comparaisons de 1964. Dans quelles circonstances vous êtes vous rencontrés ?

Lorsque Bernar Venet est venu une première fois me rendre visite à Paris, c’est qu’entre autres il désirait exposer au Salon Comparaisons dont il connaissait la notoriété par ses aînés, Arman, Martial Raysse.

Nice était la seule ville de France hors de Paris dans laquelle un artiste pouvait avoir une activité complète : atelier, relations avec des galeries, certes peu nombreuses, mais qui avaient des collectionneurs de passage ou résidant. On commençait à parler d’une Ecole de Nice.

Bernar Venet était accompagné d’un autre jeune, Claude Gilli, lors de cette première visite. Mon accueil les avait étonnés. A Nice, c’était jus de fruit et à Paris, nous étions plutôt whisky. Ils venaient me voir parce qu’au Salon Comparaisons, j’avais la charge d’une salle groupant environ une vingtaine d’artistes. Elle avait été créée pour présenter les Nouveaux Réalistes, au lendemain de la première Biennale des jeunes de Paris. Mais j’avais l’intention d’élargir mes choix. Je pensais que je devais choisir éclectiquement les artistes parmi ceux qui ne pouvaient être acceptés par les étiquetages de l’époque. Les figuratifs avaient cinq salles dont celle des expressionnistes, des classiques ou ceux qui avaient le respect de la tradition. Les abstraits étaient divisés en géométriques, lyriques et tachistes. Entre figuratifs et non-figuratifs, il y avait les peintres surréalistes et les naïfs. Les sculpteurs avaient deux chefs de groupe, l’un figuratif, l’autre abstrait.

Venet me convenait, il m’expliquait qu’il peignait sur des cartons d’ emballage repliés sur eux-mêmes avec des couleurs brillantes industrielles peut-être glycérophtaliques destinées aux wagons de chemin de fer ou de tramway.

Comment s’est déroulée  votre première entrevue ?

L’entretien fut chaleureux, direct, Bernar n’employait pas de sous-entendus. Ses vues picturales me plaisaient car il imaginait par exemple d’inviter les collectionneurs à repeindre périodiquement les cartons, marquant ainsi son désintérêt pour la trace personnelle du savoir-faire de l’artiste dans un esprit commun à celui de Klein qui faisait tomber sur la toile la poudre colorée évitant ainsi la trace du pinceau. Comme j’avais cette année beaucoup de sollicitations, j’avais essayé de le faire accepter par Marc Boussac, l’organisateur le plus proche de moi. D’où pour lui, une certaine inquiétude, vite chassée par mes amis Gérard Deschamps et Marguerite Godet-Batigne, de passage à Nice.

J’ai ainsi exposé trois fois Bernar Venet : en 1964, 1965 et 1967 avant qu’il ne s’installe à New York. C’était un proche d’Arman.

Pourriez-vous  définir Bernar Venet ? L’homme et l’artiste. Nous parler de votre relation ?

C’est un des êtres que l’on peut perdre de vue pendant plusieurs années. Quand on le retrouve, on a l’impression de ne l’avoir jamais quitté tant il est d’humeur stable. Bernar Venet s’est lancé picturalement dans des recherches géométriques de l’espace, après des études de diagrammes qui, finalement, l’ont amené après moult réflexions à la sculpture.

Bernar Venet est un homme d’approche aisée. Quelquefois, quand j’entends parler d’une de ses réalisations, au lieu de demander des explications à la personne qui en fait mention, je me dis que j’interrogerai Bernar lui-même. Et avec son art du raccourci, avec ou sans petit croquis, en trois secondes, je comprends son projet.

Dans nos relations, il y a quelque chose de curieux. J’en entends parler ou je le vois à la télévision et je me dis qu’il faut que je le questionne et peu après, le hasard fait que je le rencontre. C’est une certaine chance dans ma relation avec lui.

Je ne me sentirais pas la subtilité de parler de l’ensemble de l’œuvre de Bernar car elle demande une dialectique que je laisserai à un critique d’art qui en serait spécialiste. Le visiteur ne soupçonnera pas, à la vue de l’exposition, que la pureté des sculptures est passée par le tamis de la réflexion.

-Bernar Venet sera exposé en avril au sein du lieu d’art contemporain qui porte votre nom. Êtes-vous heureux de ce nouvel échange ?

De même que j’ai été heureux de l’inviter il y a 50 ans, de même, je le suis de vous voir prendre l’initiative de toute une exposition dans ce lieu qui a été créé par la Ville de Saint Gratien.

Jacques Villeglé (Carine Roma-Clément)
” Bernar Venet – Hypothèse du point “,  Espace Jacques Villeglé, Saint Gratien. Du 02/05 au 28/06/14.

(Merci à Jacques Villeglé pour l’autorisation de la publication du texte)

(Visuels, Bernar Venet en train d’installer Déploiement aléatoire de point, exposition : Musée d’Art Moderne, Villeneuve d’Ascq, France, 1984. Crédit photo : Muriel Anssens, Nice )